Histoire

Les langues inclusives sont le résultat de quatre mouvements fondamentaux à l’œuvre au XXIe siècle :

1. la déconstruction des pouvoirs dominants

2. l’émergence de la notion de genre

3. l’inclusivité comme nouveau concept politique

4. la tentative d’élaboration de langues à la hauteur des idéaux démocratiques

1. La déconstruction des pouvoirs dominants

La seconde moitié du XXe siècle, en déconstruisant les systèmes de pensée dominants par les sciences humaines, va favoriser l’essor de nouveaux concepts participant à la production des langues inclusives. Nous pensons plus précisément à la remise en cause du sujet cartésien en psychanalyse (Lacan, 1966), de l’universalisme en philosophie (Althusser 1964, Derrida 1966, Foucault 1966 et 1975), de la domination masculine en anthropologie et sociologie (Delphy 1975, Guillemin 1978, Héritier 1996), du genre comme construction sociale dans les études éponymes (Kosofsky Sedgwick 1990, Butler 1990), ou encore de l’européocentrisme dans les études post coloniales (Saïd 1980, Bhabha 2007).

A ce vaste mouvement analysant les mécanismes de pouvoir à l’œuvre dans les rapports humains viennent s’ajouter en linguistique les travaux explorant l’interdépendance de la pensée et du langage, ainsi que la capacité du signe à créer de la réalité, que ce soit par sa performativité (Austin 1962), sa construction sociale (Sapir 1949, Whorf 1956, Searle 1995), son structuralisme (Propp 1928, Genette 1966, Barthes 1971), son analogie ou son iconicité (Jacobson 1956 et 1965, Fischer & Nänny 1999, Monneret 2011, Nobile 2014), ou encore son sens submorphémique (Bottineau 2009).

Enfin, la littérature, avec des œuvres du troisième millénaire fondées en partie sur le bouleversement du traitement grammatical des genres (Vonarburg 1999, La Baronne 2007, Rozenfeld 2014, Alpheratz 2015, D. 2016) voit l’émergence de styles qui, dans le dialogue qu’ils instituent entre autaire et lectaire, contribuent à l’émergence d’une conscience de la hiérarchisation androcentrique d’un système de valeurs par la grammaire.

S’en est suivie une créativité langagière d’une partie des francophones sur le plan du genre, de tous groupes et catégories sociales, et qui nous paraissent former une « communauté épistémique », au sens où Foucault l’envisage à partir du concept d’épistémè dans Les Mots et les choses (1966), et au sens où ce concept est actuellement utilisé, soit « les canaux par lesquels de nouvelles idées circulent des sociétés vers les gouvernements, et d’un pays à l’autre. » (Bossy & Evrard 2010).

2. L’essor de la notion de genre

La notion de genre social a émergé au début du XXe siècle en anthropologie (Mead 1935) puis a été conceptualisée et utilisée comme nouvel outil de compréhension du monde par l’ensemble des sciences humaines, notamment par la philosophie politique (Kosofsky 1990, Butler 1990).

Les études de genre explorent l’ensemble des stéréotypes et croyances qui définissent une personne en tant que « femme », « homme », « non binaire » ou autre. Elles étudient le rapport de domination d’une catégorie sur l’autre et analysent les relations d’interdépendance qui existent entre ces hiérarchies partout où elles se manifestent, y compris en langue.

La libération de la parole permise par les réseaux sociaux et plus récemment les scandales autour de la banalisation des violences sexuelles et de leur systématisation ont contribué à faire naître ou à renforcer cette conscience de genre au sein de la population, notamment chez les jeunes générations.

Enfin, notre séquence historique voit l’émergence de la question des intersexes, c’est-à-dire des personnes nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques, hormonaux ou chromosomiques) qui ne sont ni exclusivement masculins, ni exclusivement féminins. Jusqu’à présent, l’intersexuation était définie par le corps médical comme une pathologie, plus exactement un « trouble du développement sexuel » auquel la France remédie encore aujourd’hui par des interventions chirurgicales et des traitements médicamenteux pour contraindre ces corps différents à reproduire l’un des deux sexes.

Or, le 18 septembre 2017, la commission de bioéthique du conseil de l’Europe a sorti la définition de l’intersexuation de la pathologie. Elle recommande la reconnaissance juridique du sexe et/ou du genre différent de ces personnes. Plusieurs administrations (Australie 2014, Inde 2014, Canada 2017, Malte 2017, Europe 2017, Allemagne 2018) reconnaissent ou ont annoncé leur intention de reconnaître officiellement l’existence d’une troisième catégorie et/ou l’autodétermination en la matière.

3. L’inclusivité comme nouveau concept politique

Dérivé de inclusion, « action d’inclure ce qui est exclu », le mot « inclusivité » désigne une politique fondée sur la défense des catégories minorisées (femmes, trans, intersexes, personnes racisées, handicapées, grosses, etc.), qui a la particularité d’être délivrée de toute adhésion à un dogme économique ou religieux particulier.

4. La tentative occidentale d’élaboration de langues à la hauteur des idéaux démocratiques

Jusque-là, la grammaire s’était contentée de la description et de la prescription d’un « bon usage » en cherchant parfois à théoriser et à légitimer le choix arbitraire du masculin comme seul genre apte à représenter l’ensemble de l’humanité, d’où la situation actuelle en français, où « le genre masculin étant le plus noble doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble » (Claude Favre de Vaugelas, 1647).

Mais, de plus en plus conscient du caractère arbitraire et idéologique de ces « règles », un large éventail de locutaires, au sein de la communauté linguistique francophone, crée de nouvelles unités et structures, ou réactive d’anciens accords, comme la règle de proximité.

La recherche linguistique s’empare à son tour des productions langagières nées de cette créativité autour du genre pour les étudier et les expérimenter à l’aune de l’histoire, des systèmes et des caractéristiques du français.

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Histoire des langues inclusives

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