Sophie

Après une licence d’histoire de l’art à l’école du Louvre et un master de médiation culturelle à la Sorbonne, Sophie est devenue assistante conservation aux archives départementales des Yvelines. Elle a vingt-sept ans et a préparé pour nous une mousse au chocolat à la pâte à tartiner à la noisette. Elle a une passion pour la danse classique qu’elle pratique et a créé un blog d’inactualité artistique, La Labyrinthèque. Elle n’aime pas les gens qui font suivre leurs éternuements d’un « merde » systématique.

Interview : Alpheratz – Crédit photo © Palmyre Roigt 2018

Qu’est-ce que Requiem a fait naître ?

C’est vaste ! Pas mal d’interrogations : est-ce qu’il est possible de changer une société par le langage ? Est-ce que nos idéaux doivent systématiquement achopper sur les résistances de la “réalité humaine” : égoïsme, manque d’empathie… De la colère à certains moments, beaucoup d’émotion aussi notamment dans la scène de chasse ou lorsque le jeune homme se retrouve en difficulté.

La linguistique explore l’interdépendance de la langue et de la pensée. Quel exemple peux-tu en donner ?

Si la pensée est pauvre, bien souvent l’écriture (le langage utilisé) est lamentable… Je déteste ainsi nombre de romans contemporains où l’écriture simplissime « elle fait si, il dit ça » est tout simplement nauséeuse, et traduit un manque flagrant de réflexion.

Utilises-tu l’une des ressources du français inclusif ?

Très peu ! A part la féminisation des noms de métiers. Mais il y a de la résistance. Dans mon travail, mon nom de métier officiel est ainsi masculinisé et je n’ai pas eu mon mot à dire…

Mais le féminises-tu, toi ?

Oui. Je suis une « médiatrice culturelle » et non un « médiateur » !

Et quand tu fais cela, rencontres-tu des résistances ?

Non. Les gens font ça par habitude, je crois.

De nombreux paramètres intra et extra-linguistiques ont produit le français standard. Habitudes, mais aussi évolutions phonétiques, morphologiques, syntaxiques, raisons géographiques, sociales, historiques, sans parler des « coups » politiques dont notre langue a fait l’objet. Je pense bien sûr à Claude Favre de Vaugelas qui, en 1647, sans autre autorité que celle d’être proche du pouvoir, a décrété que le masculin l’emporterait sur le féminin et à cet autre « coup » de 1789, quand la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame que « tous les hommes naissent libres et égaux en droits » tout en omettant de donner le droit de vote aux femmes, démontrant ainsi que « les droits de l’homme », même pour leurs fondateurs, n’incluaient pas les femmes.

An autaire phare

Jane Austen : j’ai lu presque tous ses romans et apprécie sa critique sociale, à la fois amusée et perspicace. Austen écrit du rêve et je trouve cela magnifique. Sinon je pense plutôt en termes globaux : chaque livre m’a aidée à me construire petit à petit : univers mental en perpétuelle élaboration ! Tantôt l’on apprend des valeurs, du vocabulaire, des évènements historiques, des notions philosophiques… Après, certains livres m’ont bien évidemment marquée plus que d’autres : « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley, « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury, « 1984 » de George Orwell, « Germinal » ou « La Faute de l’Abbé Mouret » d’Emile Zola. « Les Raisins de la colère » font partie des lectures éprouvantes, révoltantes… Il y a aussi des lectures magiques et enchanteresses : « Lukas et le feu de la vie » de Salman Rushdie, « L’Enchanteur » de Barjavel, « L’Histoire sans fin » de Michael Ende… ces ouvrages prônent que le monde imaginaire est indispensable, qu’il faut l’entretenir pour vivre sainement, qu’il ne faut jamais oublier de faire ce « pas de côté » pour passer dans l’univers des histoires, celui qui nous ressource et nous soutient.

Pourquoi continuer à lire ?

Le simple fait que la question se pose est terrible : nous avons manqué quelque chose par rapport à notre rôle de transmission culturelle. Le goût de la lecture se perd peu à peu. C’est en tous cas ce que je constate dans mon entourage. Or, comme je l’expliquais avant, la lecture est selon moi indispensable pour se construire et entretenir une richesse intérieure. C’est comme un foyer réconfortant. Ou un puits sans fond duquel on retire sans cesse de nouvelles choses…

As-tu une cause qui te tient à cœur et que fais-tu pour elle ?

Je déteste la souffrance animale, alors je fais des dons au WWF, mais pour autant pas de militantisme, je ne suis pas végétarienne… Je donne mon sang quand je peux, je donne des habits, des objets au secours populaire… De petites attentions, je n’ai pas la motivation nécessaire pour m’engager plus avant. Sinon j’espère faire découvrir notre patrimoine culturel par le biais de mon blog La Labyrinthèque. Et ça représente pas mal d’investissement.

L’école idéale devrait…

Ne compter que des profs passionnés. Je n’ai commencé à aimer la littérature qu’à partir du moment où une prof passionnée et fascinante m’en a parlé… idem pour l’art, idem pour la science, qui au départ n’était pas ma tasse de thé ! Je n’ai jamais aussi bien compris ni appris que sous la tutelle de ces professeurs.

Moi, Présidente de la République, je…

Je pense qu’il est bien hypocrite de se mettre à la place d’un dirigeant alors qu’on n’a aucune expérience en politique ! Je ne voudrais jamais être présidente. La politique ne m’intéresse guère, car, et c’est malheureux, je suis désillusionnée sur ce terrain. Je ne veux pas de responsabilité sur la vie des autres car j’essaie déjà de comprendre comment mener la mienne au mieux…

Quel serait le point commun à toutes les guerres ?

De ne plus considérer l’autre comme un être mais comme un obstacle.

Un exemple de ce qui te touche

Je ne supporte pas les brimades entre enfants. Ca me bouleverse. Mais c’est lié à mon vécu. A l’inverse, je recharge mes batteries en contemplant un paysage, seule (forêt, ruines, montagne, coucher de soleil), en écoutant les bruits de la nature sans rien d’autre pour les parasiter, en contemplant les étoiles une fois sortie des villes.

Ton dernier mensonge

En y réfléchissant, je me dis que je ne mens pas des masses ! J’ai prétexté une migraine pour fuir une soirée pourrie dans un bar plein de mains baladeuses lors de mes vacances en Guadeloupe.

Une foi ?

Je n’utiliserais pas ce terme, connoté religieusement et qui me semble trop naïf, trop inconditionnel. Une « confiance », oui, car c’est plus réfléchi : il s’agit de quelque chose de pesé, évalué. J’ai confiance en l’univers, qui, bien au de-là des hommes et de leurs petites mesquineries, produit des choses magnifiques.

« Des hommes ? » (sourire)

L’habitude ! J’ai dit « des hommes » sans y penser.

La langue fait partie de nous au point que nous n’y pensons pratiquement jamais. Nous n’avons pas conscience que nous légitimons et perpétuons des choix idéologiques qui ont été faits al y a plusieurs siècles. Et notre passivité entérine ce monde par le simple fait de parler et d’écrire la langue que d’autres ont construite, sans choisir ses propres mots.

Une dépendance ?

Je ne sais pas… j’ai réussi à passer deux semaines de vacances sans lire, ou presque, alors que je lis tous les jours et que j’adore ça. J’ai réussi à me passer de danse classique pendant plusieurs mois, alors que pendant un temps cela m’obsédait. La seule chose dont je ne pourrai jamais me passer ce sont mes souvenirs. Les bons surtout. Ils me soutiennent, me façonnent aussi. Je ne pourrais pas non plus me passer de ma famille.

Ton rapport avec le sexe ?

J’expérimente ! Mais je crois avoir quand même cerné ce qui me plaît et ne me plaît pas, ce que je veux ou non. C’est très positif, beaucoup de personnes sont encore entravées à ce niveau-là par de pseudos conventions sociales voire par la littérature et le cinéma qui nous imposent des idées du sexe totalement éloignées de la réalité corporelle.

Ce qui te rend heureuse

Mes moments de plénitude sont toujours liés à l’exploration de la nature, seule ou avec quelqu’un de très proche (famille). Par exemple, je suis au paradis quand je m’installe dans un vallon montagneux après avoir gravi un sommet (bien dur si possible), et que je lis un super bouquin, que je le triture (oui j’adore ça) en écoutant le chant du ruisseau sur les pierres, et que je sens l’odeur des fleurs de montagne et du crottin animal…. LE PIED !!!!

Une parole inspirante

J’aime beaucoup cette phrase de Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 : « Les livres cousent des morceaux de l’univers pour nous en faire un habit. » C’est magnifique et vrai, en tous cas pour moi.

Une idée pour s’améliorer ?

Je ne sais pas si s’améliorer à tout prix est une aspiration à laquelle il faut tendre. Nous sommes dans une société déjà horriblement directive : sois exceptionnel, vis à 100%, positive toujours… On a le droit de déprimer aussi, de se laisser aller à la mélancolie, et même de merder ! Je n’aime pas le « il faut », je préfère le « on peut ». On peut s’améliorer en apprenant à s’aimer et à aimer les autres. A être indulgent. On peut surtout (se) poser des questions… et n’avoir pas forcément la réponse. Ne pas avoir un avis sur tout. L’attente est aussi une forme d’évolution et de réflexion.

Qu’aimerais-tu devenir ?

Je suis d’une nature angoissée. J’essaie déjà de travailler cela : il ne s’agit pas de le dépasser totalement, ça fait partie de moi, mais de mieux l’assimiler. Depuis mon enfance timide, j’ai déjà fait d’énormes progrès en apprenant à m’aimer, me valoriser, m’exprimer… Honnêtement, je suis fière ! J’aimerais devenir la suite, tout simplement… je suis ouverte aux surprises !

Un symbole ou une vision

Eh bien une vision ça me semble un peu grandiloquent, quant aux symboles ils ne sont vraiment intéressants qu’à condition de les dépasser… Mais puisqu’il faut choisir, j’aime beaucoup l’imagerie du labyrinthe, des intrications et entrelacs, bref du méandre dans toute sa splendeur ! Cette représentation de l’espace (mental) est pour moi importante car elle exprime le cheminement de la pensée, dont les circonvolutions n’ont pas de fin, dont les croisements sont créateurs.


Dans le labyrinthe, une petite fille qui pose sur les êtres et les choses un regard sans détour. Sous le caractère lisse des apparences, son énergie et sa force peuvent soulever ces montagnes qu’elle gravit avec constance. Contrairement à ce qu’elle dit, j’ai pu constater qu’elle possédait la qualité rare de çauz qui s’engagent pour les autres et vont jusqu’au bout. La danse, la lecture, la pureté de l’air et les défis sportifs sont ses outils pour devenir la suite, tout simplement.

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